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9 novembre 2016 3 09 /11 /novembre /2016 09:52

Monseigneur Belsunce

Évêque de Marseille

1671 - 1755

Si vous prenez la peine de vous rendre jusqu’au parvis de la major à Marseille, vous pourrez admirer la statue de Monseigneur Belsunce, œuvre du sculpteur aixois aixois Joseph Marius Ramus. .

Savez-vous que cette statue a connu un parcours incroyable depuis la date où elle fut installée temporairement devant la future Major, en l’honneur du Prince-président Louis-Napoléon venu poser la première pierre de cette cathédrale le 26 septembre 1852 ?

Dès 1819, on trouve trace des velléités de la ville d’élever un monument à la gloire de l’auguste Prélat.

L’Administration sanitaire avait émis le souhait d’élever à ses frais « un Mausolée en l’honneur de Mgr de Belsunce » dans l’Église des Bernardines pour célébrer, le 12 juin 1821, le centenaire de la fin de l’effroyable épidémie qui décima près de la moitié de la population phocéenne et fit près de 100 000 victimes.

L’affaire ne se fit pas à cause « la situation pénible des Finances de la ville ».

En guise de statue, l’évêque n’eut droit qu’à une médaille commémorative œuvre du sculpteur Pierre Joseph Chardigny.

Ce n’est qu’en 1851 que l’idée de construire une statue à la gloire de l’Évêque fut reprise.

S’en suivit de longues délibérations d’octobre 1851 à fin Juillet de l’année suivante où l’on débat avec passion du sculpteur choisi (le préfet avait suggéré le nom de James Pradier), de la matière à employer (bronze ou marbre) et du lieu où devait être placée l’œuvre qui voyagea beaucoup avant même d’exister.

Finalement il est décidé «  qu'il y a lieu d'ériger une statue à Mgr de Belsunce ; Cette statue, coulée en bronze,[…], sera placée sur le Cours, à la hauteur de la rue Petit-Saint-Jean. Le prix en est fixé à la somme de vingt mille francs »

Tardivement le piédestal tout en marbre fut confié à Jules Cantini « moyennant la somme de 15 000 francs ».

Jules Cantini est plus connu des marseillais pour être le généreux donateur de la fontaine qui porte son nom se trouvant Place Castellane.

L’œuvre est achevée pour le voyage du prince-président en septembre 1852 et provisoirement installée pour l’occasion sur le parvis de la cathédrale.

L’inauguration officielle, sur le cours, maintenant éponyme de l’Évêque, se déroule pendant les fêtes de Pâques, le lundi 28 mars 1853.

En 1879, le moine bénédictin Théophile Bérengier, thuriféraire inconditionnel de l’évêque, rapporte : « On n’a pas oublié les scènes scandaleuses qui se sont produites à Marseille, en juillet de 1878, autour de la statue de l’admirable pontife »

L’évènement fut repris dans les journaux le Petit Cettois, et Ar Wirionez journal du Finistère et l’on peut y voir les traces des luttes enflammées entre légitimistes et républicains.

Le maire de Marseille de l’époque démissionna le 11 juillet 1878 à la suite de ces incidents.

Le 13 janvier 1891, le maire Felix Baret fait approuvé« le projet d'établissement d'une voie charretière au milieu des cours Belsunce et Saint-Louis»

Ces travaux effectués sur le cours Belsunce et le cours Saint-Louis eurent comme conséquence la nécessité de déplacer à nouveau la statue du Prélat.

Elle fut installée dans la nuit du 17 au 18 juin 1891 devant l’évêché alors demeure de l’évêque avant de devenir l’Hôtel de Police en juin 1908.

Elle ne trouvera sa place définitive devant la Nouvelle Major qu’en 1936.

En avril 1944 des résistants l’abritèrent sous des branchages dans un entrepôt du boulevard de Louvain. Ainsi, avec la statue du dresseur d’oursons, elle fut sauvée de la fonte.

Le 23 novembre 1944 l’œuvre retourna devant la Major et la statue fut découverte en fanfare et illuminée de lampions.

Selon l’historien marseillais Jean-Pierre Caselly, elle formait un binôme avec la statue de Victor Gélu, ornant la fontaine qui se trouvait Place Neuve (aujourd’hui Place Victor Gélu) qui fut fondue pour soutenir l’effort de guerre des allemands.

Le poète était représenté la main droite levée en train de déclamer un poème.

Les Marseillais prétendaient qu’il répondait au gens qui lui demandait de l’argent en leur disant « Non ! Je n’ai rien ! Allez plutôt demander à Monseigneur Belsunce ! » qui répondait les deux bras ballants le long du corps : « Allons ! Vous voyez bien que je ne peux pas ! Je n’ai plus rien ! »

De son attitude, bras ouverts et mains vides, vient aussi une expression typiquement marseillaise : Parlant d’un invité arrivant sans apporter le moindre présent à son hôte, on dit qu’il vient « comme Belsunce ».

C’est tout de même assez injuste envers la mémoire de ce personnage emblématique et indissociable de la grande peste qui s’abattit sur Marseille en 1720 quand on sait la générosité et l’engagement dont il fit preuve pour l’occasion.

 

Patrice Leterrier

31 Octobre 2016

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18 août 2016 4 18 /08 /août /2016 14:24
Le dresseur d’oursons

Le métier de montreur d’ours était déjà pratiqué depuis le Moyen-Age dans toute l'Europe, par les Tziganes ou Bohémiens.

Mais c’est à partir de la fin du XVIIIème siècle qu’il était devenu une spécialité, quasiment exclusive, des habitants de deux vallées ariégeoises: celles de l'Alet et du Garbet.

Au début, les oursons dressés étaient d'origine pyrénéenne, mais, très vite beaucoup d'oursons ont été ensuite achetés à Marseille où l'on trouvait des marchands d'animaux s'approvisionnant dans les pays des Balkans.

Est-ce pour cela que le jeudi 6 juin 1907 des montreurs d’ours et de singes offraient le spectacle devant le Palace Casino, situé à l’extrémité du deuxième Prado à Marseille ?

C’était un splendide établissement inauguré en 1888 où se déroulaient de somptueux diners spectacles réunissant toute la belle société marseillaise.

L’histoire ne dit pas si les portefeuilles des badauds assistant au spectacle restèrent dans leur poches ou opérèrent de rapides et insensibles migrations grâce à l’agilité des doigts de complices des forains….

Le sculpteur Louis Botinelly assista-t-il à une exhibition des montreurs d’ours en sortant d’une de ces réceptions éblouissantes que donnait Le Palace Casino ?

Toujours est-il que c’est à cette époque qu’il eut l’inspiration de son chef d’œuvre le Dresseur d’oursons, représentant un jeune saltimbanque à la carrure imposante entrainant deux petits ours à se tenir debout sur un ballon au son de son tambourin, pour laquelle il se donna corps et âme dès 1909.

Pour la réaliser il recruta un portefaix italien doté d’une musculature avantageuse, prénommé Vincent, qu’il avait remarqué aux Halles.

Pour le modèle de l’ourson Il choisit un plantigrade baptisé “Nenette” qu’il emprunte au dompteur Pézon, digne descendant de la famille Pézon.

Son aïeul Jean-Baptiste Pézon fournit à Auguste Bartholdi, l’auteur de la statue de la liberté, son fauve Brutus pour son lion de Belfort.

L’ourson jouera des tours pendables au sculpteur ne se laissant pas abuser par les ruses imaginées par l’artiste pour lui faire prendre la pose.

Alors qu’il essayait de le faire dresser sur ses pattes en lui tendant du pain imbibé de miel sur une perche, l’animal préférait s’aider d’un escabeau pour attendre sa récompense.

Il réussira tout de même à saisir les deux attitudes qu’il représentera sur l’œuvre.

On peut imaginer sans peine les crampes que dut avoir Vincent à prendre la pose les bras levés sur un pied tenant un tambourin dans sa main droite mais on ne sait pas quel salaire il reçut pour ses efforts méritoires.

Présentée au Salon de 1911, la sculpture de grandeur nature reçoit une médaille de 3ème classe, l’équivalent d’une médaille de bronze mais les espoirs de l’artiste d’un achat ou d’une bourse de l’État sont déçus.

Qu’importe ! Persuadé de la valeur de l’œuvre, le sculpteur décida de présenter au Salon une version en bronze.

Peu de grands bronzes figurent dans les expositions à cause du coût du matériau.

Comme il ne dispose pas des fonds nécessaires pour ce projet Jeanne, la jeune femme qu’il a épousée en 1908, lui procure le financement probablement avec l’héritage de Jean Veyan, son grand-père décédé en 1910.

L’œuvre est présentée au Salon de 1913 où elle fait forte impression.

Le 5 juillet, l’Institut lui décerne un prix d’une valeur de 1000 francs et l’État lui accorde enfin une prime d’encouragement, mais ne la retient pas dans la liste de ses acquisitions.

Ces récompenses méritées ne lui permettent pas de rentrer dans ses frais.

Pour finir la ville de Marseille acquiert l’œuvre le 23 août 1927, moyennant 25 000 francs.

En 1943, l’armée d’occupation allemande décide de récupérer le bronze du mobilier urbain. Elle fait enlever plusieurs statues dont le Dresseur d’oursons.

Sauvée de la refonte grâce à l’intervention du sculpteur, elle demeurera sur la place de la Bourse jusqu’au percement du parking Charles de Gaulle.

Elle est finalement érigée sur le parvis Saint-Laurent, en bordure de l’esplanade de la Tourette où on a une vue imprenable sur la bonne Mère et le fort Saint jean.

Comment peut-on parler de l’esplanade de la Tourette sans évoquer la grande peste de 1720 et le samedi 10 août de cette année où Mgr Belsunce donna devant le parvis de l’église Saint Laurent une messe entourée des patrons pêcheurs et des calfats ?

On se souvient aussi du fameux tableau de Michel Serre montrant le chevalier Roze sur sa superbe monture donnant ses ordres aux forçats, à qui on avait promis la liberté, de débarrasser l’esplanade de la Tourette d’un millier de cadavres qu’il fit jeter dans deux vieux bastions recouverts de chaux vive. Parmi les forçats cinq seulement survécurent.

Le Chevalier Roze fut atteint lui aussi par la peste, mais il en réchappa par miracle.

Des témoignages archéologiques de cet épisode ont été retrouvés sur deux sites (rue Leca, esplanade de la Major).

Dans les deux cas, il s’agit de sépultures dites “de catastrophe” dans lesquelles les corps sont jetés et couverts de chaux vive.

Patrice Leterrier

18 août 2016

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15 août 2016 1 15 /08 /août /2016 13:06
La tour du Roi René

Du haut de la tour du Roi René accessible depuis le fort Saint Jean si joliment remis en valeur dans la continuité du Mucem, vous pourrez admirer une vue magnifique sur le Vieux Port, un point de vue exceptionnel sur le Palais du Pharo, vestige des ambitions de Napoléon III de faire de Marseille le pendant méditerranéen de la villa Eugénie à Biarritz, mais aussi sur l’horizon qui se dessine au large de la rade de Marseille.

Ce point de vue fût celui qu’eurent les vigies qui guettaient l’arrivée de la flotte catalane conduite par le roi d’Aragon Alphonse V bien décidé à se venger de l’affront de sa défaite contre le comte de Provence Louis III d’Anjou à Naples sur son ennemi héréditaire Marseille.

C’était une douce soirée d’automne ce samedi 20 novembre 1423, « avant la fin de la lumière » comme le récitent les fervents catholiques à l’heure des complies.

Le sac, qui fut terrible, dura 3 jours. Les marseillais fuirent en masse.

Avant de partir, le roi fit exécuter douze des plus notables habitants de la cité phocéenne au large d’Endoume sur un rocher déchiqueté qui porte depuis le nom de l’île des pendus.

Outre un butin conséquent, le roi emporta les reliques de Saint Louis d’Anjou qui furent restituées à Marseille plus de cinq cent ans après le 24 juin 1956 et la chaine qui barrait l’entrée du Lacydon et que l’on peut toujours voir sur les murs de la cathédrale de Valence.

Pour expliquer l’incroyable facilité avec laquelle Marseille fut prise, les historiens parlent de suffisance moqueuse, de grande nonchalance ou encore de « négligence joincte à un trop impudent mespris » comme le rapporte Christian Maurel.

Cet épisode dramatique modifia profondément la société Marseillaise et entretiendra une haine tenace contre « ces chiens de Catalans » de la part des marseillais.

Il laissa aussi en ruine la tour de vigie aussi appelée la Tourette ou tour Maubec que le conseil de la ville avait officiellement baptisée Tour Saint Jean dans une délibération de 1320.

C’est le bon roi René d’Anjou, comte de Provence, frère de Louis III d’Anjou (le vainqueur de Alphonse V d’Aragon), qui, désireux d'assurer plus efficacement la défense du port, décida d’offrir à la ville de Marseille une nouvelle tour pour protéger la ville.

La construction dura six ans de 1447 à 1452.

Elle fut confiée à l'ingénieur Jean Pardo qui conçut les plans et à Jehan Robert, maçon de Tarascon en charge des travaux.

La tour, d’une hauteur de 28,50 mètres, comporte 4 salles desservies par un escalier à vis de 147 marches. Le toit-terrasse a une superficie de 180 m2.

Construite en calcaire provenant des carrières de la Couronne, la tour prit le nom de Tour du Roi René qu’elle porte encore aujourd’hui.

Elle reprit les fonctions de surveillance, de défense et d’acquittement des droits de péage qu’avait précédemment la victime de la colère d’Alphonse V d’Aragon.

Devant l’impécuniosité du roi René les travaux sont interrompus alors que seules les fondations du piédestal étaient sorties de terre.

C’est finalement avec les 2000 florins apportés par la communauté marseillaise et les 1200 de la confrérie des pêcheurs que les travaux ont pu être achevés.

La ville y gagna des nouveaux privilèges dont la franchise des droits de lods, dus au suzerain lors de la vente d’un bien foncier.

Les pêcheurs se virent concéder à perpétuité la propriété de la calanque de Morgiou avec le droit exclusif d'y établir une madrague pour la pêche au thon et la création d’un tribunal pour leur confrérie, le premier prud’homme de pêcheurs en France confirmé par Louis XI en 1481.

Si vous avez le courage de gravir les dernières marches qui conduisent au sommet de la tour, tout en admirant ce site unique, pensez en regardant au large à la frayeur qui s’empara des guetteurs lorsqu’apparût sur l’horizon les silhouettes des 18 galères et des 12 vaisseaux de charge que conduisait un Alphonse V d’Aragon les yeux vengeurs rivés sur sa future proie.

Patrice Leterrier

15 août 2016

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20 juillet 2016 3 20 /07 /juillet /2016 13:31
Massilia

A contempler la majesté du site, on peut facilement imaginer l’émotion qui saisit Simos et Protis lorsque leurs deux pentécontores arrivèrent en vue de la calanque du Lacydon.

L’origine du nom de ce qui est aujourd’hui plus communément connu sous celui de Vieux Port, reste assez mystérieuse.

Adrien Blès , membre de l’académie de Marseille et auteur du Dictionnaire historique des rues de Marseille, l’attribue à une Source qui coule des hauteurs de la butte où se trouve l’ancien Hôtel-Dieu maintenant transformé en un Hôtel de luxe qui domine le Lacydon.

Nos vaillants navigateurs touchaient enfin au but.

Celui de conquérir ce lieu privilégié connu des navigateurs phocéens pour son cadre exceptionnel.

Leur ambition était d’y fonder un comptoir pour élargir l’influence de leur peuple de pêcheurs mais aussi de pirates, ce qui à l’époque était une activité noble.

Ils procédaient en quelque sorte de la même motivation que ces réfugiés qui font aujourd’hui si peur à certains de nos compatriotes.

Ils avaient, avant d’atteindre la Provence, rencontré en remontant le Tibre le roi Tarquin, surnommé le Superbe à cause de son caractère orgueilleux et violent, qui régnait alors sur la Rome naissante pour conclure avec lui un traité d'amitié.

Malgré leur surprise de ne voir déboucher que des marécages dans le Lacydon alors qu’un fleuve constitue un atout important pour bâtir une ville, ils décident, charmés par la beauté naturelle du lieu, de mettre pied à terre et de partir à la découverte du lieu.

Les Ségobriges, un peuple celto-ligures, qui s’étaient approprié ce lieu comme territoire, avaient vu arriver du haut de leur campement situé sur les hauteurs d’Allauch les majestueuses galères des phocéens.

Ils avaient un roi qui s’appelait Nannus et qui préparait un grand banquet en l’honneur de sa fille, la princesse Gyptis qui devait choisir le jour même son époux en lui apportant une coupe de vin.

Nannus en bon diplomate invite ces visiteurs grecs qui ne marquent aucun signe d’hostilité envers les autochtones.

A la surprise générale, la princesse Gyptis, probablement subjuguée par le charme grec indéfinissable et si différent d’un Protis placé sous la protection d'Artémis, la grande déesse d'Ephèse aux dix-huit mamelles, lui tend la coupe qu’il accepte scellant ainsi le destin pacifique de l’implantation des phocéens en ce lieu.

Le roi pour célébrer cette union offrit aux phocéens ce lieu béni des Dieux pour fonder Massilia.

Les Phocéens se sont parfaitement intégrés, sans renoncer ni à leurs rites ni à leurs coutumes, aux Ségobriges.

Ils ont fièrement combattus à leur côté pour défendre Massalia de leurs voisins, envieux du développement spectaculaire de la ville.

C’était aux alentours de l’an 600 avant Jésus Christ et cette légende d’une conquête basée sur l’amour et la tolérance a probablement était enjolivée dans la mémoire des descendants de ces conquérants.

Elle évoque aujourd’hui, dans ces temps où l’on se déchire dans la haine, l’intolérance, le fanatisme religieux, une belle illustration du vivre ensemble dans le respect des traditions de chacun et de la puissance de l’amour sur le destin des hommes et femmes qui y croient.

Patrice Leterrier

20 juillet 2016

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19 mars 2014 3 19 /03 /mars /2014 17:54

 

la-major.jpg


 

L

 

orsqu’on arrive par la mer à Marseille, on peut apercevoir trois monuments emblématiques de l’histoire de la cité phocéenne.

Au sud, perchée sur sa colline, Notre dame de la Garde, presqu’éponyme de Marseille, veillant depuis la fin du XIXème siècle sur le sort des marins.

A l’entrée du Port de la Joliette le Mucem, avec sa façade en dentelle, jetant une audacieuse poutre en béton comme un doigt vers le Fort Saint Jean.

Ce trait symbolique relie les vieilles pierres de la gardienne historique du Lacydon à l’architecture résolument audacieuse du nouveau temple culturel de la cité phocéenne.

Derrière on aperçoit la cathédrale Sainte-Marie-Majeure, dont la construction fut décidée par Louis Napoléon Bonaparte. Reçu par Monseigneur Mazenod et son chapitre, lors de sa visite le 26 Septembre 1852, il en posa la première pierre.

La statue de Monseigneur Belzunce, qui ne devait rejoindre qu’en 1892 le parvis de la nouvelle cathédrale, avait été placée provisoirement devant l’ancienne église : "Le saint Pasteur, les yeux levés vers le ciel les mains étendues et suppliantes, invoque pour son troupeau la miséricorde divine"(1).

Cette attitude est à l’origine d’une expression bien marseillaise.

Ne dit-on pas en effet d’invités qui arrivent les mains vides qu’ils viennent "comme Belzunce" ?

Souhaitant probablement soigner l’électorat catholique, à la veille du plébiscite du 2 décembre, le futur empereur s’adressa en ces termes à ces hôtes marseillais : "Lorsque vous irez dans ce temple appeler la protection du ciel sur les têtes qui vous sont chères, sur les entreprises que vous avez commencées, rappelez vous celui qui a posé la première pierre de cet édifice et croyez que, s’identifiant à l’avenir de cette grande cité, il entre par la pensée dans vos prières et dans vos espérances"(1).

Les marseillais ne lui en furent pas particulièrement reconnaissant : avec un taux d’abstention de 47%, ils n’apportèrent qu’une faible contribution à son avènement comme empereur lors du plébiscite.(2)

La nouvelle cathédrale fut construite selon les plans de l’architecte Léon Vaudoyer.

Sa réalisation fut reprise à sa mort en 1872 par Jacques Henry Espérandieu, qui en assurait déjà la direction des travaux et qui en avait dessiné la façade ouest

Il fut à son tour remplacé, a sa disparition prématurée en 1874, par Henri Revoil qui achevât la nouvelle cathédrale le 30 novembre 1893 soit plus de 40 ans après la pose en grand pompe de la première pierre et bien après que l’ombre de l’aigle impérial ne puisse la couvrir.

Ce fût la seule cathédrale édifiée en France au XIXème siècle.

On pourrait s’étonner de voir un monument religieux si imposant, isolé dans un lieu aussi excentré du cœur grouillant de vie de la ville.

Ce curieux positionnement est lié à l’histoire de la cité phocéenne.

Le centre historique des dévotions des marseillais se trouvait précisément près de ce promontoire qui abritât un temple à la gloire de Diane d’Ephèse à laquelle les massaliotes portaient un culte assidu dès l’origine.

Derrière ce majestueux monument au style romano byzantin, assez proche de celui de Notre Dame de la Garde, on peut apercevoir les restes de l’ancienne cathédrale datant du milieu du XIIème siècle.

Malgré ses dimensions presque ridiculement modestes face à son imposante remplaçante, c’est un superbe exemple d’architecture romane provençale construit en pierre rose des carrières de la Couronne. L’édifice a été largement amputé de deux travées lors de la construction de la nouvelle cathédrale.

Elle avait d’ailleurs vocation à être totalement détruite pour laisser le champ libre à l’imposant ouvrage qui la remplaçait mais c’était sans compter sur l’attachement des Marseillais à leur ancienne église qui firent une pétition pour la conserver.

La construction de la nouvelle cathédrale fut aussi l’occasion de découvrir les restes d’un magnifique baptistère du Vème siècle dont on peut admirer les mosaïques et la maquette au musée d’histoire de Marseille.

Plus récemment, en 2008, à l’occasion du projet Euroméditerranée, fut découverte une mosaïque polychrome du Vème siècle qui aurait appartenu à un ancien palais épiscopal bien antérieur à l’actuel évêché construit à partir de 1648 à la demande de l'évêque Arthur d'Épinay de Saint-Luc et qui est aujourd’hui le siège de l'Hôtel de police de Marseille.

La cathédrale n’est aujourd’hui guère visitée et rares sont les touristes qui se hasardent à entrer dans un édifice aussi froid, immense mais si peu accueillant.

Ma grand-mère m’y emmena alors que je n’étais encore qu’un gamin.

Je me souviens de l’air abasourdi du prêtre qui officiait lorsqu’elle l’apostropha en ces termes : "Mon père, je ne vous félicite pas ! Votre église est un vrai foutoir !". Elle n’avait pas totalement tort sur le fond mais je lui dois une de mes hontes enfantines les plus vivaces.


Patrice Leterrier

19 mars 2014

 

(1) La Major, cathédrale de Marseille Casimir Bousquet

(2) Histoire de Marseille Raoul Busquet

 

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17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 14:11

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J

ean-Baptiste Hugues, sculpteur marseillais, doit une grande partie de sa célébrité à la muse de la source qui se trouve maintenant au musée d’Orsay.

Elle fut longtemps dans le salon Berthelot du palais du Sénat où les sénateurs avaient, dit-on, l’habitude de caresser le sein gauche de la pompe funèbre car la légende voulait que le modèle du sculpteur ait été Marguerite Steinhel.

La célèbre maitresse du Président Felix Faure, mort en épectase durant une fellation qu’elle lui prodiguait dans le salon bleu de l’Elysée, n’était pas en réalité le modèle.

Elle ne pouvait l’être, malgré la ressemblance, car Jean Hugues songeait à son visage dès 1881 et Madame Stenheil n’avait alors que 12 ans.

Mais Jean-Baptiste Hugues est aussi l’auteur du groupe moins connu représentant les danaïdes qui orne la fontaine qui se trouve square Stalingrad à Marseille.

L’endroit s’appela d’abord en 1808, cours du Chapitre.

Il se situe à l’emplacement d’une importante propriété appartenant au chapitre de la cathédrale, la vieille Major, mise en adjudication aux enchères publiques comme bien national le 26 mai 1791(1).

Au milieu du XIXème siècle, le cours du chapitre n’était encore qu’un vaste terrain vague où l’on jouait aux boules.

Sous la IIIème République, la Ville de Marseille, lourdement endettée par les grands travaux du second empire, avait abandonnée les projet somptueux.

Le projet d’aménagement du cours du Chapitre n’avait pas certes le prestige du percement de la rue de la République ni celui de la construction du Palais Longchamp.

La Ville y installe d’abord un bassin en 1896 pour commémorer la visite en France du tsar Nicolas II et de la tsarine Alexandra du 5 au 9 octobre 1896 tandis que la capitale construisait le pont Alexandre III pour l’occasion.

En 1904, Jean-Baptiste Hugues propose d’installer en son centre son projet de fontaine avec le concours de l’État. Le maire Amable Chanot accueille favorablement cette proposition.

Le monument est prêt pour une inauguration en 1907 mais il ne le fut jamais car son cofinancement impliquait la présence d’un membre du gouvernement.

Le 19 Septembre 1913, près de 6 ans après sa mise en place, le maire Amable Chanot écrivait encore à l’artiste "Le séjour de M. Poincaré à Marseille sera de trop courte durée pour qu’on puisse espérer qu’il y soit ajouté l’inauguration de la fontaine des Danaïdes".

Le groupe de Jean Hugues reprend l’histoire issue de la mythologie grecque des 50 filles du roi Danaos, condamnées par les juges de morts à remplir sans fin un tonneau pour avoir tuer leurs époux et cousins le jour de leurs noces à la demande de leur père.

Seule l’ainée, Hypermnestre, désobéit à son père car son époux Lyncée avait respecté sa virginité.

L’œuvre de Jean Hugues représente cinq de ces gracieuses nymphes remplissant vainement le fameux tonneau devenu le symbole d’une tache impossible.

Au début du XXème siècle, la présence des platanes font du cours, rebaptisé successivement cours Joseph Thierry puis cours Stalingrad, "l’un des coins les plus ombragés et les plus frais de la cité phocéenne".

Les promeneurs s’y attardaient à la terrasse de la grande Brasserie du Chapitre qui se trouvait à l’emplacement de l’actuelle poste.

À partir de 1908, la brasserie des Danaïdes s’installe en face(2).

Elle s’y trouve toujours et, dans ma jeunesse, était le siège d’un club d’échecs où je venais régulièrement jouer.

J’avais comme professeur bénévole un vieil homme qui ne roulait pas sur l’or, si on peut se fier à sa mise plus que modeste, mais qui m’enseignât en bougonnant les règles de l’art de ce jeu dont la légende prétend qu’il fut inventé par le sage brahamne Sissa.


Patrice Leterrier

16 mars 2014

(1) Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud. Cependant Laurent Noet attribue plutôt cette propriété aux chanoines de Saint Victor.

(2) Laurent Noet : Le Cours du Chapitre à la belle époque I

 

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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 14:07

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L

 

e jeune homme s’approcha. Il était jeune, agile et leste comme une antilope.

Son regard perçant ne quittait pas celui du géant empêtré dans sa cuirasse pesante, gauche et malhabile même s’il voulait impressionner son adversaire en lui hurlant d’oser s’approcher et en faisant tournoyer son glaive immense au dessus de sa tête enfermée dans son casque.

Son champ de vision réduit par son gigantisme, dû à l’adénome de son hypophyse qui compressait son nerf optique, ne lui permettait pas de suivre le ballet incessant de cet insolent moustique qui tournait sans arrêt autour de lui.

Puis le ballet s’interrompit brusquement et avant qu’il ne réalise l’origine du sifflement qu’il perçût le géant s’effondra foudroyé par la pierre qui venait de jaillir de la fronde du jeune homme.

Il s’appelait David et le géant à terre, qu’il allait décapitait avec son propre glaive, s’appelait Goliath le philistin.

Ainsi commence l’histoire de David, le célèbre roi d’Israël, qui succomba aux charmes de Bethsabée. Pour écarter son mari, Urie le Héthien, il l’envoya se faire tuer à la guerre. Ils eurent un fils Salomon qui reste à la postérité pour son jugement.

L’histoire plus ou moins romancée de David inspira les sculpteurs de la renaissance dont le protégé des Médicis Donatello qui donna entre 1430 et 1432 une splendide version en bronze d’un David androgyne au sourire ambigu regardant à ses pieds la tête de Goliath avec ce déhanchement artistique qu’on appelle contrapposto.

Mais nous n’aurions sans doute pas une image aussi majestueuse de David si Michel Ange, avant d’avoir 30 ans, n’avait relevé le défi de le faire revivre dans un bloc de marbre de carrare auquel personne n’osait s’attaquer.

Il y travaillât prés de quatre ans avant de dévoiler son œuvre le 8 septembre 1504 sur la place de la Signoria à Florence. Aujourd’hui l’original se trouve à l’Accademia.

La statue reprend le déhanchement de son illustre prédécesseur mais, si la virilité du personnage ne fait aucun doute, son air à la fois songeur et inquiet laisse à penser qu’il n’a pas encore affronté le géant Goliath.

C’est de ce chef d’œuvre dont Jules Cantini fit faire une copie qu’il offrit à la ville de Marseille en 1903 avant la construction de sa monumentale fontaine de la place Castellane.

Après avoir dormi presque 50 ans dans les réserves du palais des Beaux-Arts de la place Carli, la statue, surnommée par les vieux Marseillais "quiquette ville et cul mer", tourne maintenant définitivement le dos à la grande bleue au Rond point du Prado à l’extrémité de cette avenue percée au milieu du dix-neuvième siècle pour permettre aux Marseillais de venir contempler la mer, lorsqu’ils ne venaient pas risquer au Casino de la Plage ou aux champs de Courses du Parc Borély leurs économies durement gagnées.

Dans ma jeunesse, la statue était aussi régulièrement victime des étudiants qui venaient obstinément colorer les attributs sexuels du David, que des employés municipaux devaient régulièrement rendre à leur aspect original. Son fessier définitivement tourné vers la mer était aussi souvent l’objet de diverses décorations sans que la quiétude éternelle du héros biblique ne s’en trouve altérée.


Patrice Leterrier

  7 mars 2014

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12 février 2014 3 12 /02 /février /2014 14:54

Estaque.jpg

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es deux côtés du golfe, des bras de rochers s’avancent, tandis que les îles, au large, semblent barrer l’horizon; et la mer n’est plus qu’un vaste bassin, un lac d’un bleu intense par les beaux temps. Au pied des montagnes, au fond, Marseille étage ses maisons sur des collines basses ; quand l’air est limpide, on aperçoit, de L’Estaque, la jetée grise de la Joliette, avec les fines mâtures des vaisseaux, dans le port; puis, derrière, des façades se montrent au milieu de massifs d’arbres, la chapelle de Notre-Dame-de-la-Garde blanchit sur une hauteur, en plein ciel."

Qu’ajouter à cette description d’Émile Zola si ce n’est parler "des toits rouges sur une mer bleue" qu’évoque avec tant de force Paul Cézanne dans ses tableaux ?

Difficile pourtant, de nos jours, d’imaginer les pentes ensoleillées de Saint Henri et de Saint André, qui surplombent la côte, couvertes de vignobles.

Pourtant les vins de cette vallée, que l’on appelait la vallée de Séon, étaient très appréciés des romains.

Leurs galères venaient charger les amphores remplies du précieux nectar à l’abri du mouillage de l’estaco que le célèbre géographe grec Strabon nous signale déjà au premier siècle comme digne d’être cité et dont le nom apparaît comme Estac ou Estaque assez tôt sur les cartes. L’origine provençale du nom, signifiant "pieu d’amarrage", ne fait guère de doute.

Avant d’être un simple quartier du seizième arrondissement de Marseille, ce fût d’abord un hameau puis un village de pêcheurs et d’agriculteurs.

On y pratiquait essentiellement la pêche à la sardine et la seinche au thon.

Aujourd’hui il n’en reste que peu de trace si ce n’est quelques pointus qui participent plus au folklore local qu’à une véritable activité de pêche comme au temps des "pite-mouffe".

Les belles tuiles d’argiles rouges qui ornent ses toits ont longtemps fait sa renommée internationale.

Ce sont ces tuiles que Naïs Micoulin, dans la nouvelle de Zola, retournait à longueur de journée pour les faire sécher.

On peut en admirer la qualité jusqu'à Yokohama au Japon.

Au XIXème siècle, les estaquéens étaient pêcheurs ou tuiliers.

Les tuileries ont aujourd’hui disparu et les cheminées des usines ne recrachent plus ces "hauts panaches de fumée" dont parlait Zola.

La gare de l’Estaque, dont nous parle le poète René Char dans son poème "la gare hallucinée", est toujours aussi belle même si n’y accostent plus que quelques rares voyageurs.

Il ne reste que des ruines de cette période industrieuse dont Cézanne se plaignait en écrivant à sa nièce Paule Conti "Je me souviens parfaitement de l’Establon et des bords autrefois si pittoresques du rivage de l’Estaque. Malheureusement ce qu’on appelle le progrès n’est que l’invasion des bipèdes, qui n’ont de cesse qu’ils n’aient tout transformé en odieux quais avec des becs de gaz et - ce qui est pis encore - avec éclairage électrique. En quel temps vivons-nous !".

L’Estaque a toujours ses peintres amateurs mais n’accueille plus Cézanne fuyant la mobilisation en 1870 et s’y cachant avec sa compagne Hortense Fiquet avant qu’Émile Zola ne les rejoigne.

On peut, au détour d’une ruelle en jetant un regard sur la magnifique rade, imaginer l’éblouissement d’un Auguste Renoir, l’invention picturale d’un Georges Braque, la fougue et l’audace d’un André Derain ou encore les couleurs vives et crues d’un Raoul Dufy.

On pourra aussi, en contemplant ces façades aujourd’hui fatiguées du bord de mer, évoquer le souvenir de l’Estaque Plage, lieu de prédilection pour les sorties dominicales d’une bourgeoisie Marseillaise venue y faire quelques pas après avoir dégusté une bouillabaisse dans un des nombreux restaurants qui fleurissaient à la fin du XIXème siècle.

Aujourd’hui le bruit et la fumée des usines et des chantiers ne troublent plus l’air empli de l’odeur des embruns et les cris des gabians couvrent celui des véhicules parfois accompagnés du soupir poussif et cadencé d’un vieux moteur monocylindre Baudoin qui équipe encore quelques pointus.

Il reste ses chichi-frégis tout enrobés de sucre, ses panisses que l’on déguste sans retenue devant un pastis en regardant le soleil disparaître en rougissant sur l’horizon.

Il reste le charme indéfinissable de ses rues étroites qui serpentent la butte, la chaleur communicative de ses riverains au langage coloré comme nulle part ailleurs, ses joutes navales, le cinéma de Robert Guédiguian qui retrace si bien la lente agonie des chantiers navals et de l’industrie qui ne laissent aujourd’hui que les stigmates rouillés d’une grandeur passée.


Patrice Leterrier

12 février 2014

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5 février 2014 3 05 /02 /février /2014 13:09

La-plaine.jpg

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epuis le 23 décembre 1919, ce lieu bien connu de tous les marseillais sous le nom de la Plaine s'appelle ainsi. Il s’est d’abord appelé lo Plant de Sant Miquel (plateau de Saint Michel) pour devenir la Plaine Saint Michel puis la Plaine tout court, ce qu’il reste pour la plupart des Marseillais.

A l’origine, l’esplanade, qui se trouvait en dehors des limites de la ville, était connue sous le nom de Campus Martius et le chemin qui y conduisait s’appelait via de Campo Martio(3), un plateau désert qui ne s’animait que pour les exercices militaires et les visites royales.

Au XIIIème siècle les Croisés en partance pour la terre Sainte y campaient. Ils passaient le temps en y organisant des joutes et des tournois.(1)

Les édiles marseillais aimaient bien y recevoir leurs nobles hôtes.

Ainsi en 1319(4) ils y reçurent le roi Robert de Naples, qui était aussi comte de Provence, venu honorer les reliques de son frère Saint Louis d’Anjou qui furent enlevées en 1423 par Alphonse V d'Aragon lors du Sac de Marseille.

En 1516(1), Un cortège municipal y accueillit François Ier tout auréolé de sa victoire à Marignan, accompagné de la reine Claude.

Le 6 novembre 1564, le roi Charles IX, âgé de quinze ans, n’est pas encore l’instigateur de la tuerie de la Saint Barthélémy. Il vint à Marseille(5) accompagné de sa mère Catherine de Médicis, son frère le duc d'Anjou, son cousin le futur Henri IV. Au centre du Plan Saint-Michel, un trône avait été élevé sur une estrade couverte de riches étoffes.

Le 7 novembre 1622(3), c’est au tour de Louis XIII d’honorer la citée phocéenne de sa présence. Un trône surmonté d'un dais de velours bleu avait été dressé au milieu du Plan Saint Michel.

Le 8 mars 1701(1), les ducs de Bourgogne et de Berry, accompagnés de Vauban et du comte de Grignan, y passèrent en revue les troupes des galères commandées par le bailli de Noailles.

En 1814(1), la population y acclama successivement, le 19 août, le duc d'Orléans (le futur Louis-Philippe) et, le 1er octobre, Monsieur, comte d'Artois (le futur Charles X).

Dans l’euphorie de la proclamation de la république en 1848(1), un grand banquet patriotique y eut lieu au pied d'une colossale statue en plâtre représentant la Liberté.

De pauvres gens pensèrent y trouver refuge sous des tentes pendant la grande peste de 1720 ignorant que la contagion se moquait des collines(4).

C’est à la plaine Saint-Michel, rebaptisée pour l’occasion Place de la constitution, que la guillotine s’installât le 25 Juillet 1794 pour raccourcir un certain Barthélémy, fabricant de savon de son état, qui impressionna tant la foule par sa bravoure. Il fit trois fois le tour de l’échafaud et salua les assistants en s’écriant "je vais mourir pour la Patrie !".

Sur le Plan de Saint-Michel, qui s’étendait autrefois depuis l'église Notre Dame du Mont jusqu’à la place actuelle(4), s'étaient établis les Frères Minimes. Ils y construisirent un grand monastère dont le tyrannique consul Charles de Casaulx posa la première pierre le 13 janvier 1592.

Le monastère prit une importance considérable. Les Minimes s’étant entichés des sciences exactes donnèrent des savants dont Louis Éconches Feuillée, astronome de Louis XIV, et Charles Plumier, botaniste.

Ce n’est qu’au 18ème siècle que des immeubles commencèrent à border le plan qui prit alors le nom de place Saint-Michel(1).

La place ne prit sa configuration actuelle qu’au 19ème siècle avec la construction de ces fameuses maisons typiquement marseillaises dites "trois fenêtres" : trois étages sur rez-de-chaussée, chacun composé de trois fenêtres.

Elle devient une des places les plus bourgeoises et les plus paisibles de la ville.

C'est en 1883 que son sous-sol fut percé d'un tunnel de 700 mètres de long pour donner passage à un tramway qui reliait la gare de Noailles au cimetière Saint-Pierre. Marcel Pagnol raconte dans ses souvenirs d’enfance : "Le tunnel, vaguement éclairé par des lumignons dans des niches, n'était composé que de courbes et de virages : après un quart d'heure de grincements et de cahots, nous sortîmes des entrailles de la terre, juste au début du boulevard Chave, à 300 mètres de notre point de départ…. Mon père nous expliqua que cet ouvrage singulier avait été commencé par les deux bouts, mais que les équipes terrassières, après une longue et sinueuse flânerie souterraine, ne s'étaient rencontrées que par hasard."1

C'est de cette place que Louis Capazza et Alphonse Fondère se sont envolés confiant en leur technique du "parachute-lest" vers Appietto en Corse le dimanche 14 novembre 1886 vers 16h dans leur ballon Le Gabizos(6).

Jean Giono dans son roman Noé parle de la Plaine : "Du temps de ma jeunesse, il y avait au centre de cette place un bassin dans lequel évoluait un bateau à rames à forme de petit paquebot et pouvant contenir une dizaine d'enfants. Un feignant costumé en matelot faisait faire pour deux sous trois fois le tour du bassin, lentement, avec de longues pauses. Cela s'appelait le tour du monde. Chaque fois que je descendais à Marseille avec mon père, il me payait ça."

Jusqu’en 1983, on y trouvait aussi des charmantes calèches tirées par un âne pour y promener les gamins. Il y avait aussi autrefois un guignol comme au Palais Longchamp.

Depuis 1892, il s’y tient toujours un marché où résonnent sous les platanes les annonces colorées des maraichers.

Un terrain de football qui avait été installé a aujourd’hui disparu car le bruit incessant des ballons contre les grilles avait fini par exaspérer les riverains.

Si vous demandez à un vrai Marseillais où se trouve la Place Jean Jaurès, ce n’est pas faire injure à l’illustre tribun que de vous prédire qu’au mieux il vous dira probablement, après un temps d’hésitation "Ah ! oui, vous cherchez la Plaine ?"


Patrice Leterrier

5 février 2014

 

(1) Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud

(2) Histoire de Marseille Raoul Busquet

(3) Histoire de Marseille Augustin Fabre

(4) Histoire de Marseille Amédée Boudin

(5) Histoire de Marseille Volume 1 Antoine Ruffi

(6) Marseille Zig Zags dans le passé Pierre Gallocher

 

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3 février 2014 1 03 /02 /février /2014 10:56

Place_de_Lenche_-_Marseille.jpg

À

 la suite de la chute d’un érable emporté par le mistral dans la soirée du 11 mai 2013,tous les arbres de la place de Lenche à Marseille ont été abattus.

Imaginez la colère des riverains et commerçants de la plus ancienne place de Marseille la découvrant privée de ses abris végétaux et exposée en permanence aux brûlures du soleil du midi.

Depuis le 20 novembre dernier, le scandale a pris fin puisque la municipalité a replanté dix platanes de type acerifolia vallus clausa hauts de 6 à 7 mètres.

La place a autrefois abrité l'ancienne agora grecque et plus tard le forum romain.

Bien qu’amputée de sa partie sud, suite au dynamitage par les nazis en février 1943 du quartier le plus ancien de France qui vit disparaître deux mille bâtiments sur 14 hectares, elle reste l’un des plus emblématiques témoins de la longue et tumultueuse histoire de Marseille.

Sur son flanc sud, aujourd’hui disparu, se tenait le couvent des religieuses de Saint-Sauveur érigé au Vème siècle, par Saint-Cassien qui a aussi fondé le monastère de Saint-Victor.

Ces religieuses furent surnommées les desnarado parce que, suivant l’exemple de leur abbesse Sainte Eusébie, elles se coupèrent le nez pour échapper à la lubricité des sarrasins qui dévastèrent Marseille au VIIIème siècle. Les malheureuses sauvèrent peut-être ainsi leur virginité mais pas leurs vies.(1)

Sous le couvent se trouvaient les caves de St Sauveur qui, selon la légende, abritaient la cellule de Saint Lazare, communiquant par un souterrain avec la crypte de l'abbaye de St Victor.

La place porta successivement les noms de Saint Sauveur puis de Saint Thomas en l’honneur de l’église du couvent consacrée à ce saint.

Elle adopte finalement le nom de place de Lenche au XVIème siècle en référence à l’illustre famille corse qui s'y était établie dans ce qui fût longtemps une des plus belles demeures de Marseille.

En 1588, le consul Antoine Lenche, qui dirigeait le parti des bigarrats s’opposait au premier consul Nicolas de Cépède qui, avec les ligueurs, tenait l’hôtel de Ville.

Le 26 août de cette année, il voulut s’en emparer : "couvert d’une cuirasse, orné d’un chaperon, il se mit à la tête de cinquante royalistes armés de toutes pièces"(4).

Malgré sa bravoure, qui le fit désarmer un dénommé Porcin qui le menaçait avec un pistolet pointé sur sa poitrine, la tentative échouât. Antoine Lenche se réfugia dans le couvent de l’observance.(4)

Il fut instantanément déchu de ses fonctions consulaires et déclaré "perturbateur du repos public et ennemi de la patrie".(4)

Le surlendemain, il fût découvert dans un caveau où il se cachait. "Un cardeur de laine lui ôta son chaperon et lui donna un soufflet"(4). Passant devant l’église du couvent, Antoine Lenche réussit à se dégager pour y trouver asile mais, il fut criblé de coups d’épée et de pistolet devant le bénitier.(1)

"Les ligueurs, poussant des cris de joie, foulèrent aux pieds son cadavre"(4). Son corps fut tiré hors de l’église et abandonné aux enfants, qui le traînèrent jusqu’à la porte de sa maison..Ce n’est qu’à la nuit avancée que sa veuve Jeanne Bouquin le fit prendre par ses serviteurs.

Ainsi périt le neveu et successeur de Thomas Lenche, fondateur du bastion de France et des Concessions d’Afrique(2).

Antoine Lenche avait une fille Jeanne de Lenche, qui épousa, en 1592, Honoré Riquetti de Mirabeau, l'ancêtre du fameux révolutionnaire, lui apportant en dot l'hôtel de Lenche qui devint ainsi hôtel de Mirabeau.

"Cette place était alors le seul marché de cette ville si fort agrandie depuis. Jeanne de sa terrasse voyait les chambrières et connaissait les maîtres à qui elles appartenaient. Elle remarquait celles qui achetaient le poisson le plus cher afin disait-elle de ne pas prêter son argent à leurs maîtres."(3) 

Le fils de Jeanne et d’Honoré, Thomas fut le premier à introduire à Marseille l’usage des livrées. Ses valets portaient des habits rouges et le peuple se moquait en disant "venès veire leis souisses de moussu de Mirabèu"(3)(5).

En décembre 1644, Georges de Scudéry, surtout connu comme romancier, est nommé gouverneur du Fort de Notre Dame de la Garde.

Accompagné de sa sœur, Madeleine de Scudéry femme de lettres, ils furent reçus et "traités magnifiquement"(1) dans cet hôtel. 

Le 2 mars 1660, à 4 heures de l’après-midi, le jeune roi Louis XIV, qui venait de soumettre Marseille, pénétra dans la ville par une brèche ouverte à sa demande dans les fortifications près de la porte Réale (Porte d’Aix).

Il ordonna la construction du fort Saint Nicolas dont les canons étaient dirigés à la fois vers le Port mais aussi vers la ville pour lui enlever toute velléité de se révolter à nouveau.

Durant son séjour, il logea dans l’hôtel de Mirabeau avec la reine mère et le cardinal Mazarin.

C’est tout près de la place de Lenche, rue Jean-Galant, que la peste fut diagnostiquée pour la première fois officiellement le 9 juillet 1720 sur un adolescent de treize ou quatorze ans par les docteurs Peyssonnel père et fils.

A la fin du XVIIème siècle, l’hôtel fut vendu par les Mirabeau qui achetèrent une résidence plus somptueuse encore dans les nouveaux quartiers de la rue Noailles.

L’Hôtel accueillit alors l'œuvre des enfants abandonnés puis un collège qui subsistât jusqu’à la fin du second empire.

Il servit ensuite de siège à l’œuvre des enfants de la providence avant dêtre rasé et remplacé par des constructions modernes.(1)

L’histoire ne dit pas quand les urinoirs qui s’y trouvaient au début du siècle dernier furent détruits.


Patrice Leterrier

2 février 2014

 

(1) Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud

(2) Histoire de Marseille Raoul Busquet

(3) Mémoires biographiques Honoré-Gabriel de Riquetti Mirabeau

(4) Histoire de Marseille Augustin Fabre

(5) "venez voir les suisses de Monsieur Mirabeau"

 

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