Francis Pisani, sur son blog Winch5, regrette que le gagnant du concours "Competition Startup" beintoo.com s’inscrive dans une logique de rentabilité à cours terme.
Retournant l’expression de Steve Jobs, déjà canonisé par l’église des adorateurs de la pomme, il ajoute "L'univers n'est pas une pomme dans laquelle il faut laisser la marque de ses dents".
De son voyage africain il revient avec la conviction "qu'innover c'est résoudre un vieux problème avec des solutions nouvelles" sans les soumettre à la logique implacable du ROI (Return On Investment).
Mohammed Yunus, prix Nobel de la Paix, avait lancé il y a plus de trente ans, avec la Grameen Bank, l'idée de microcrédit pour les pauvres.
Microworld.com poursuit cette initiative avec sa plateforme en ligne. C’est certainement ce genre de projets qui peut changer, en particulier en Afrique, la logique des investissements de la recherche du profit le plus important et le plus rapide vers celle d'un développement durable dont l’équilibre économique se juge en décennie et non en trimestre.
Mais l’initiative de Microworld est-elle à la hauteur des enjeux ?
Yunus clamait déjà que la pauvreté dans le monde ne pourrait être vaincue par les bons sentiments et les dons.
Certes les initiatives comme celle de Bill Gates et l'action des ONG dans le domaine de la faim et de la santé sont indispensables pour éviter de plus grands malheurs mais elles ne conduisent pas à un nouvel ordre économique et social en Afrique en particulier.
Le développement de cet immense continent a, en quelque sorte, la chance de ne pas être contraint de passer par le stade de la société industrielle pour entrer résolument dans l’ère des services et des TICs.
Il a besoin d'un modèle économique adapté à ce paradigme qui n'est certainement pas celui du capitalisme purement libéral obsédé par le profit à tout prix et surtout pas celui des multinationales tentaculaires en particulier dans le domaine agricole.
Le printemps Arabe a largement montré le rôle essentiel des nouvelles technologies dans la prise de conscience des populations mais les derniers développements montrent également que nous n'avons pas valeur de modèle pour ces pays qui sont à la recherche d’une nouvelle voie combinant le respect de leurs traditions, de leurs cultures, de leurs religions aux valeurs de liberté héritées du siècle des lumières même si les risques d’un islamisme dogmatique ne sont pas complètement écartés.
Au moment où l'exposition sur les zoos humains du musée du Quai Branly nous rappelle les terrifiantes erreurs de nos prédécesseurs persuadés d'être porteurs de missions "civilisatrice" et "évangélisatrice" auprès des populations indigènes, il est grand temps que nous concevions nos relations avec les populations africaines autrement qu’en terme de censeurs porteurs de je ne sais quels modèles culturel, démocratique et économique universels que nous pourrions imposer à ces pays.
Plus que jamais les initiatives doivent venir des africains eux-mêmes et notre véritable intérêt est aussi de favoriser l’éclosion des talents et des projets.
Selon les Nations Unies, la population africaine représentera plus d’un tiers de la population mondiale d’ici 2100 alors qu’elle ne représentait même pas 10% en 1950. Sur la même période l’Europe sera passée de 22% de la population mondiale à moins de 7%.
Il est urgent de comprendre et d’accompagner l’évolution de l’Afrique.
Il est de notre intérêt de reconnaître son rôle dans un nouvel équilibre mondial à construire.
Il est capital de changer radicalement notre vision de ce continent aujourd’hui encore trop marquée par un paternalisme néocolonialiste.
Patrice Leterrier
13 décembre 2011