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16 juin 2014 1 16 /06 /juin /2014 13:28

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A

 

u moment où on nous annonce avec un peu d’emphase que le test de Turing (l’impossibilité pour l’interlocuteur de distinguer un programme informatique d’un être humain) avait été réussi par un robot qui s’était fait passé pour une enfant de 13 ans maîtrisant mal la langue anglaise, au moment où pour l’ouverture du mondial on voit un enfant paralysé donner le coup d’envoi en actionnant un exosquelette à la seule force de sa pensée, Nicholas Carr publie un article sur une étude américaine remettant en cause le mythe du lien entre le "progrès" technologique et l'élévation corrélative de la "valeur cognitive" du travail.

Ce mythe ne remonte pas à hier puisque déjà Aristote comparait l’outil à l’esclave qui permettait selon lui à l’homme de libérer du temps pour des activités plus raffinées que les tâches manuelles.

La même idée est largement reprise par Marx, Keynes et Oscar Wilde au sujet de la révolution industrielle du XIXème siècle.

Certains, comme la journaliste économique du Time Magazine Annie Lowrey, n’hésite pas à voir dans cette envahissement de la technologie une libération.

La marche du progrès est en route.

Elle nous conduit vers une nouvelle complémentarité entre nos machines et nous qui ne peut se traduire que par plus de liberté et des activités de plus en plus riches pour l’homme.

Pourtant la lutte entre les machines et les travailleurs n’est pas d’hier. Déjà, en 1831, les canuts lyonnais brisaient les métiers à tisser de Jacquard qui les privaient de leur gagne-pain.

De nos jours des automates comme kayak remplacent les personnels des agences de tourismes, des robots délivrent sans la moindre intervention humaine des articles commentant des résultats sportifs, les clients scannent eux-mêmes leurs achats dans les supermarchés sans l’aide d’une caissière, depuis bien des années plus personne ne va retirer de l’argent auprès d’un guichetier à la  banque et les billets de spectacles, de voyages en avion ou en train se prennent en quelques clics sur internet.

Comme dans le même temps le niveau d’instruction générale s’est sensiblement amélioré l’équilibre devrait se déplacer vers des emplois à plus fortes valeurs ajoutées laissant les "cols blancs" à l’abri de l’envahissement de la technologie dans le monde du travail.

Quoi de plus rassurant en somme que de voir les progrès de la technologie pousser de plus en plus les travailleurs vers des tâches à plus haute valeur ajoutée ?

Mais faut-il déjà s’entendre sur la signification du mot valeur.

S’agit-il de plus de productivité et de profit pour l’entreprise ou de plus de compétence et de satisfaction pour le travailleur quand on sait que ces deux interprétations sont souvent en conflit ?

N’entend-on pas, par exemple, de nos jours de plus en plus de voix s’élever pour que le téléphone portable professionnel ne franchisse plus la porte de la vie privée comme c’est monnaie courante aujourd’hui ?

Si nous nous en tenons à des tâches plus épanouissantes parce que réclamant des compétences de plus en plus pointues, il faut cependant que cette hypothèse, comme toutes les théories les plus sophistiquées sur les conséquences du progrès technologique, affronte inévitablement le mur sans concession de la réalité.

Il est illusoire de penser que toutes ces merveilles de technologie qui prennent de plus en plus souvent des décisions à la place de l’homme soient conçues dans le but de permettre aux travailleurs d’avoir des emplois enrichissants alors même que leur rôle n’est plus souvent que de contrôler le fonctionnement sans autre apport que d’effectuer une procédure bien réglée lorsqu’un voyant s’allume signalant une anomalie.

Il est également illusoire de penser que les firmes qui mettent en œuvre ces technologies ne le fassent pas d’abord pour améliorer leur compétitivité et engranger plus de profit dont une partie sera réinvestie pour encore plus d’automatisation et moins d’employés pour réaliser les mêmes tâches.

Le cercle vertueux du progrès technologique s’il a nourri la croissance extraordinaire de la révolution industrielle, s’il a véritablement profondément modifié le monde du travail avec la révolution informatique, s’il ouvre des perspectives inédites avec l’explosion d’internet et la mondialisation de la culture, du savoir et de la création de valeur, ne semble cependant pas créer comme par magie ces emplois à forte valeur ajoutée libérateurs que nous promettent ses inconditionnels.

L’étude dérangeante des économistes américains Paul Beaudry, David Green et Ben Sand, semble démontrer au contraire que depuis le début des années 2000, le niveau de compétence des emplois aux États Unis ne cesse de baisser poussant de plus en plus de nouveaux entrants dans le monde du travail à prendre des emplois en dessous de leurs qualifications.

Outre le gaspillage que représente cette tendance, elle est à l’origine de frustrations qui ne sont certainement pas étrangères au désamour de la politique que l’on constate chez les plus jeunes ni à cette montée en puissance du populisme trouvant des causes externes à ce malaise profond.

Il est urgent de remettre l’homme et son épanouissement au centre des préoccupations économiques et politiques, de remettre les fantastiques progrès de la science et de la technologie au service de l’homme et non l’inverse.


Patrice Leterrier

16 juin 2014

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