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24 décembre 2013 2 24 /12 /décembre /2013 18:29

Les_Catalans_-_vers_1800.PNG


S

i vous décidez un jour d’entamer l’été par un tour de Corniche à Marseille en partant du quai de Rive Neuve, vous traverserez d’abord le boulevard Charles Livon, anciennement boulevard de l’empereur, qui coupa le fort Saint Nicolas en deux en 1862.

Il désenclavait ainsi l’accès à la mer et au palais du Pharo alors en construction par la volonté de Napoléon III qui voulait se doter d’une résidence de villégiature à Marseille qui soit le pendant de la Villa Eugénie à Biarritz.

Poursuivant votre route, vous aboutirez alors au Cercle des nageurs de Marseille qui a donné tant de champions à la France dont Alain Mosconi et plus récemment Alain Bernard.

En ayant tourné vers la gauche, pour commencer votre tour de Corniche, vous pourrez, si le temps est clément, observer des badauds accrochés à des balustrades un peu rouillées.

Difficile de savoir s’ils suivent avec passion les parties de volley-ball ou s’ils admirent les belles marseillaises qui se font bronzer sur le sable chaud de la plage des Catalans.

Ouverts en 1859, l’établissement, conçu par l’ingénieur Borde, devait être la première réalisation d’un complexe touristique somptueux avec le projet jamais réalisé d’un magnifique Casino dont on avait chargé l’architecte Espérandieu, tout auréolé par sa bonne mère, de concevoir les plans. Un bail est accordé en 1869 à monsieur Ardisson qui y installe 380 cabines et emploie 30 personnes.

Cette anse de sable, si rare sur cette cote largement dominée par les roches, objet de la contemplation de nos badauds, s’appelait à l’origine la crique de Saint Lambert et abritât un Lazaret, aussi appelé les Infirmeries Vieilles, construit en 1631 mais qui, jugé trop près du fort Saint Nicolas, fût transféré à Arenc en 1663.

Mais pourquoi porte-t-elle aujourd’hui ce nom étrangement ibérique ?

Il faut remonter à la grande Peste qui avait ravagé la cité phocéenne en 1720 et 1721.

Elle avait lourdement touché le quartier des pêcheurs marseillais qui, "logés à l’étroit dans des maisons peu aérées, n’avaient pu se garantir contre la contagion. Quelques Catalans, qui n’étaient pas l’élite de leur nation, se persuadèrent qu’il n’y avait plus de pêcheurs à Marseille et vinrent s’y établir..." 

Ne pouvant affronter de front l’hostilité des pêcheurs marseillais, ils prirent l’habitude de venir abriter leurs barques et faire sécher leurs filets dans la petite crique de Saint-Lambert. Les Infirmeries Vieilles leur servaient de logement, d’entrepôt, de fabrique d’hameçons. Ils installèrent aussi des huttes, des baraques et un hangar en bois sur la plage des Catalans qui est alors exclusivement réservée pour leurs filets et pour leurs barques.

Confortés en 1761 par le "Pacte de Famille", conclu entre les Bourbons de France, d’Espagne et de Naples, qui les autorisait à venir pêcher librement sur les côtes françaises et à vendre leur poisson sur les marchés marseillais, ils s’y installèrent durablement au grand dam de leurs concurrents locaux qui les poursuivent inlassablement en les accusant d’utiliser des bateaux, des techniques et des outillages de pêche qui ne répondaient pas aux règlements.

L’ouverture des bains de mer sonna le glas des dernières installations catalanes.

L’impératrice Eugénie de Montijo, probablement à cause de son origine, plaida en faveur des pêcheurs catalans pour qu’ils obtiennent un lieu de repli au vallon des Auffes.

Les Catalans y maintinrent encore quelque temps la tradition de la pêche à la palangre avant de se fondre définitivement dans la population bigarrée de la cité phocéenne.

Enfant nous prenions le tram 83 qui nous amenait jusqu’à l’entrée de cet établissement connu de tous les marseillais.

Il y avait encore les deux entrées correspondant au Grand Bain et au Petit Bain.

Nous n’étions certes plus au temps où le sable de la plage était divisé en zones distinctes pour les riches et les pauvres, les femmes et les hommes.

Les plus téméraires des habitués du lieu paradaient sur la jetée située dans l’alignement de la tour, vestige de l’ancien Lazaret, pour faire admirer leurs muscles puissants, qu’ils entrainaient sur les agrès de la plage en veillant à ce que les belles baigneuses les admirent du coin de l’œil.

Quand ils étaient enfin sûrs d’avoir suffisamment capté l’attention de la gente féminine ils s’avançaient en secouant énergiquement leurs mains pour mieux se concentrer avant d’effectuer leurs plongeons impeccables.

J’avais quant à moi à l’époque une hâte craintive de me jeter à l’eau pour y cacher ma blancheur congénitale et ma maigreur juvénile loin des regards moqueurs de jeunes athlètes en herbe.

J’aurais plutôt de nos jours l’inquiétude de faire souffrir à mon entourage immédiat la vue déplaisante de mon léger embonpoint.



Patrice Leterrier

24 décembre 2013

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